«Bientôt, des intelligences artificielles remplaceront les profs!»

Lundi 11 mars 2024

Photo de Thomas Park sur Unsplash
Le groupe Ecole des CEMÉA

L’école doit souvent composer avec les difficultés et le manque de moyens. A la dernière rentrée scolaire, les directions peinaient à compléter leurs équipes, se tournant parfois vers des bénévoles ou des profs sans titre requis. Si on croise la problématique de la pénurie d’enseignant·es avec l’omniprésence des outils numériques dans les écoles, on pourrait envisager de remplacer certain·es profs par des intelligences artificielles.

Loin d’être tirée d’un scénario de science-fiction, la question du remplacement des profs par des intelligences artificielles (IA) était posée très sérieusement dans l’émission Parti pris sur la Première le 1er septembre dernier1 . Ça tombe bien, car les géants du numérique (les GAFAM: Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ne nous ont pas attendu·es pour y réfléchir et proposer de nombreux programmes et outils d’IA dits éducatifs. Mais avant de nous lancer dans le grand remplacement, interrogeons-nous sur ce qu’est une IA et, surtout – parce que là réside l’essentiel – sur ce que signifie enseigner.

«Il faut garder la foi en notre vieux cerveau d’homme! Notre plus grande richesse, c’est notre génie créateur.» (Isaac Asimov, Les Cavernes d’acier, 1953)

L’humain, bien plus que des capacités

On appelle IA tous les logiciels qui automatisent une série d’opérations afin de simuler une partie du comportement humain. Ces outils peuvent, parfois de manière très impressionnante, écrire, chercher plus vite, conduire comme un être humain. Dans certains domaines, ils dépassent même les compétences humaines, comme en mathématiques ou en robotique par exemple. Toutefois, dans cette comparaison se glisse une erreur fondamentale: la confusion entre l’humain et l’outil. En effet, les individus possèdent des capacités, mais ne se résument pas à celles-ci; ils ont une vie intérieure, des émotions, des relations complexes, dont l’outil est dépourvu. De fait, personne ne penserait comparer la force ou l’intelligence d’un être humain à celle d’un marteau ou d’un tournevis.

Façonner les citoyen·nes de demain

On constate depuis longtemps une tension qui traverse le monde de l’enseignement: à quoi sert l’école? Instruire en permettant d’acquérir des savoirs, voire des compétences? Former les citoyen·nes de demain? Un peu des deux? Si l’on conçoit juste l’école comme une machine à instruction, un outil qui crée des outils, une IA est tout à fait capable de générer un propos, de concevoir un dispositif didactique de renforcement et d’en évaluer l’efficacité dans un test qui validera l’acquis des apprenant·es. Si on envisage l’enseignement comme, avant tout, une relation soignée et exigeante entre enseignant·es et élèves, génératrice d’apprentissages, de réalisation de soi, de vivre-ensemble, d’appartenance à une communauté humaine, on peut affirmer qu’aucune intelligence artificielle ne remplacera un·e professeur·e.
C’est donc un choix politique d’une éducation de la jeunesse. Si l’école est conçue pour maintenir les dominations sociales, patriarcales, territoriales ou générationnelles, et pour former des personnes capables de reproduire et de restituer, alors l’utilisation de l’intelligence artificielle a du sens. Si, comme nous l’espérons, l’école a l’ambition de permettre aux jeunes de participer à l’élaboration d’une société plus égalitaire, de les entraîner à créer leurs propres expériences et donc leurs apprentissages, mais aussi d’être à la source de textes, d’inventions scientifiques, de musiques, de codes informatiques ou de peintures, ça, pour le moment, aucune intelligence artificielle ne le permet – car elle ne peut le faire elle-même. Et c’est sûrement une bonne nouvelle!
L’IA à l’école, comme dans bien d’autres lieux, ne peut donc pas devenir LA solution ultime aux problèmes issus de l’inorganisation du système éducatif, de son manque de financement, de ses impensés, de son manque de personnel… La question serait plutôt de savoir comment maintenir les exigences et intentions éducatives dans un système scolaire malmené par des remous politiques et économiques.

Un produit avant tout économique

Car n’oublions pas qui nous fournit ces IA. ChatGPT est sûrement la plus connue actuellement. Elle est l’œuvre de la firme OpenIA dont les principaux actionnaires sont Elon Musk et Microsoft. Le premier a déjà plusieurs fois affirmé que l'intelligence artificielle, à terme, rendra tout emploi obsolète. Pour lui, les machines surpasseront l’être humain. Elles risqueront même de s'impatienter face à sa lenteur cérébrale et sa stupidité2 . En ce qui concerne Microsoft, la société de Redmond a été plusieurs fois condamnée pour des abus de position dominante et pour évasion fiscale, entre autres…
Drôle de pari que de laisser entrer dans nos écoles des technologies créées par des géants du numérique, dont l’objectif n’est pas que de faciliter ou de développer les possibilités humaines. En effet, dans cette nouvelle économie, nous ne sommes ni client·es, ni produits; nous sommes la matière première exploitée. Chaque outil provenant de la Silicone Valley embarque son lot d’espions avec pour mission de récolter, cartographier, schématiser et transformer en données la totalité de l’expérience humaine. Ces données, issues de nos comportements, servent à des fins prédictives pour façonner et influencer nos comportements futurs. Nous dire ce qu’il faut acheter, où partir en vacances, ce que l’on doit regarder, pour qui voter. Bref, engendrer de l’argent et du pouvoir!

«Il n’est pas question de laisser le numérique à la porte de l’école. Au contraire, car il fait partie de nos vies au quotidien. La tâche de l’école est de le transformer en outil d’apprentissage, d’accompagner son utilisation et d’éclairer les élèves, de façon critique, sur les intentions des différents logiciels et applications.»

Garder sa place d’outil

Attention, il n’est pas question de laisser le numérique à la porte de l’école. Au contraire, car il fait partie de nos vies au quotidien. La tâche de l’école est de le transformer en outil d’apprentissage, d’accompagner son utilisation et d’éclairer les élèves, de façon critique, sur les intentions des différents logiciels et applications. Le meilleur outil d’émancipation reste le rapport humain, et même une mauvaise leçon ou un «jour sans» de l’adulte peut être une sacrée source d’apprentissages. L’IA n’est que chiffres, statistiques, et se base uniquement sur ce qui convient au plus grand nombre. L’éducation est tout le contraire: c’est prendre soin du besoin individuel de chaque personne pour la faire grandir et progresser avec les autres.
Dans l’actualité récente, il y a des lueurs de lucidité. L’UNESCO (l'Organisation des Nations Unies pour l’Éducation) annonçait début septembre que le remplacement de professeurs par des IA pourrait affecter le bien-être émotionnel des enfants et les rendre vulnérables à la manipulation. Faisons en sorte que cela n’arrive pas!

 

Cet article a été publié initialement en octobre 2023 dans la chronique mensuelle digitale des CEMÉA Et si l’école…, sous le titre Bientôt, les profs seront remplacé-e-s par des intelligences artificielles!

 

 

Mar 2024

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